
Prêt en monnaie étrangère et clause abusive
En tant qu'avocat spécialisé en droit bancaire, je constate régulièrement que les prêts en devises étrangères continuent de susciter de nombreux contentieux, notamment en ce qui concerne le prêt en monnaie étrangère et la clause abusive.
Une décision récente de la Cour de cassation du 9 juillet 2025 marque un tournant majeur dans la protection des emprunteurs, y compris les travailleurs frontaliers. Voyons ensemble ce que cela signifie concrètement pour vous.
Qu'est-ce qu'un prêt en monnaie étrangère ?
Un crédit en monnaie étrangère est un emprunt libellé dans une devise autre que l'euro.
Dans ma pratique, je rencontre fréquemment des prêts en francs suisses, particulièrement dans les régions frontalières. Ces prêts présentent la particularité d'exposer l'emprunteur au risque de change : si la devise se renforce par rapport à l'euro, le coût réel du crédit augmente mécaniquement.
Ces produits bancaires ont été commercialisés massivement dans les années 2000-2010, notamment auprès de travailleurs frontaliers percevant leurs revenus en francs suisses, mais également auprès de consommateurs français touchant leurs salaires en euros.
La durée de ces prêts, souvent de 15 à 25 ans, expose particulièrement les emprunteurs aux fluctuations de change.
La notion de clauses abusives dans les prêts
Une disposition contractuelle est considérée comme abusive lorsqu'elle crée un déséquilibre significatif entre les obligations des parties au détriment du consommateur. Dans le cadre des prêts en devises, plusieurs clauses peuvent être contestées : celles relatives au libellé du crédit en devise étrangère, aux modalités de prélèvement à échéance, ou encore à l'absence d'information sur le risque de change.
Le droit européen, et notamment la directive n° 93/13, offre une protection renforcée aux consommateurs contre ces clauses déséquilibrées. La directive établit des règles claires en matière de transparence contractuelle. Mon rôle est précisément d'analyser votre contrat pour identifier ces clauses potentiellement abusives.
Comment identifier des clauses abusives ?
L'identification d'une disposition contractuelle abusive nécessite une analyse approfondie du contrat. Je recherche notamment :
- L'absence ou l'insuffisance d'information claire sur le risque de change
- Le défaut de transparence sur les modalités de calcul des échéances
- L'absence de mise en garde claire sur l'évolution possible de la devise
- Les dispositions permettant à la banque de modifier unilatéralement certaines conditions
La simple lecture du contrat ne suffit pas toujours. Il faut replacer celui-ci dans son contexte de conclusion et examiner l'ensemble des documents remis lors de la souscription.
La jurisprudence de la Cour de cassation sur le caractère abusif
L'évolution de la jurisprudence sur le risque
La position de la Cour de cassation a considérablement évolué ces dernières années. Jusqu'à récemment, notamment dans un arrêt du 1er mars 2023, la Haute juridiction refusait d'étendre la protection européenne aux travailleurs frontaliers percevant leurs revenus dans la même devise que leur emprunt, estimant qu'ils n'étaient pas exposés au risque de change.
Cette approche restrictive a été abandonnée dans un arrêt historique du 9 juillet 2025, rendu par la 1ère chambre civile. Cette décision de la Cour constitue un véritable revirement de jurisprudence dont je mesure l'importance quotidienne dans mes dossiers.
Un revirement majeur : l'arrêt du 9 juillet 2025
Dans cette affaire, un travailleur frontalier avait souscrit quatre prêts immobiliers en francs suisses entre 2005 et 2010. Il percevait alors ses revenus en Suisse, dans la même devise. Mis à la préretraite en 2018, il a contesté plusieurs dispositions de ses contrats et invoqué un défaut de mise en garde de sa banque.
Les juges du fond, en appel, avaient rejeté ses demandes, estimant qu'un emprunteur percevant des revenus en francs suisses n'était pas exposé au risque de change et ne pouvait donc bénéficier de la protection renforcée européenne. La Cour d'appel avait ainsi écarté l'application de la directive.
La Cour de cassation, 1ère chambre civile, censure cette décision et pose un principe fondamental : pour assurer une protection adéquate et efficace du consommateur, il faut tenir compte de l'ensemble des circonstances qui entourent la conclusion du contrat, ainsi que leur évolution raisonnablement prévisible jusqu'à son terme.
Le risque de change et la transparence
L'appréciation du caractère abusif des clauses
Ce revirement jurisprudentiel signifie concrètement que tous les consommateurs ayant souscrit un emprunt en devise étrangère sont désormais placés sur un pied d'égalité, quelle que soit la devise dans laquelle ils perçoivent leurs revenus au moment de la souscription.
La Cour reconnaît qu'un travailleur frontalier ne peut être considéré comme connaissant nécessairement le risque de change. Même s'il perçoit ses revenus en francs suisses lors de la conclusion du contrat, des événements prévisibles peuvent modifier sa situation : changement d'emploi, préretraite, retraite, licenciement, déménagement...
Cette appréciation globale et prospective répond à une exigence de transparence. La banque doit s'assurer que le consommateur comprend non seulement le mécanisme du prêt au jour de sa souscription, mais également les risques futurs, raisonnablement prévisibles. L'objet de cette obligation est de garantir une information claire et complète.
Prescription de l'action en nullité pour caractère abusif
Point de départ du délai de prescription
La question de la prescription est cruciale dans ces dossiers. L'action en nullité pour caractère abusif des clauses se prescrit par cinq ans. Mais à partir de quand court ce délai ?
Selon la jurisprudence constante, le point de départ du délai de prescription est le jour où le titulaire a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action.
Dans le cas des prêts en devise, ce point de départ peut être le moment où l'emprunteur prend conscience du caractère abusif de la disposition, notamment lorsque sa situation change (perte d'emploi en Suisse, passage à la retraite). La date de cette prise de conscience doit être déterminée au cas par cas.
Cette question nécessite une analyse au cas par cas que je mène systématiquement dans mes dossiers pour sécuriser votre action.
Les actions possibles : nullité, restitution, responsabilité bancaire
Face à un emprunt en devise contenant des dispositions abusives, plusieurs actions juridiques s'offrent à vous :
L'action en nullité : Elle vise à faire déclarer non écrites les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs. Le contrat se poursuit alors sans ces dispositions, ce qui peut avoir des conséquences importantes sur le coût du prêt. L'objet de cette action est de rétablir l'équilibre contractuel.
L'action en restitution : Si des sommes ont été indûment versées en application d'une disposition abusive, vous pouvez en demander la restitution.
L'action en responsabilité bancaire : Indépendamment du caractère abusif d'une disposition, la banque a une obligation de mise en garde. Si elle ne vous a pas suffisamment informé des risques, notamment du risque de change et de ses conséquences concrètes sur votre situation, sa responsabilité peut être engagée. Vous pouvez alors obtenir des dommages et intérêts.
Dans mes dossiers, je combine souvent ces différentes actions pour obtenir la réparation la plus complète possible.
Que faire si vous êtes concerné par un prêt en monnaie étrangère ?
Agir en cas de caractère abusif des clauses
Si vous avez souscrit un prêt en devise étrangère, en particulier en franc suisse, je vous recommande vivement de faire analyser votre contrat. Le récent revirement de jurisprudence ouvre de nouvelles perspectives, y compris pour les travailleurs frontaliers qui pensaient ne pas pouvoir agir.
Voici les démarches que je préconise :
- Rassemblez tous vos documents : contrat de prêt, offre préalable, documents d'informations remis lors de la souscription, tableaux d'amortissement, relevés de compte
- Ne laissez pas le temps jouer contre vous : vérifiez les délais de prescription applicables à votre situation
- Évaluez l'ampleur de votre préjudice : calculez les surcoûts liés aux variations de change et comparez avec ce qu'aurait coûté un emprunt en euros
- Constituez un dossier solide : documentez votre situation personnelle et professionnelle lors de la souscription et son évolution
L'importance d'un accompagnement juridique spécialisé
Les contentieux relatifs aux prêts en devises étrangères présentent une complexité technique réelle. Ils nécessitent une parfaite maîtrise du droit bancaire, du droit de la consommation conformément au Code de la consommation et du droit européen. L'application de la directive 93/13 relative aux clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs exige une expertise approfondie.
Mon expertise en droit bancaire me permet d'analyser finement votre contrat, d'identifier les dispositions contestables, de déterminer la stratégie contentieuse la plus adaptée et de chiffrer précisément votre préjudice. Je connais les arguments développés par les banques et sais comment y répondre efficacement. L'article L. 212-1 du Code de la consommation pose les principes applicables en matière de clauses abusives.
Chaque dossier est unique et mérite une attention particulière. L'arrêt de la Cour de cassation du 9 juillet 2025, rendu par la 1ère chambre civile, démontre que la jurisprudence continue d'évoluer favorablement. La Cour d'appel avait initialement rejeté la demande, mais la Cass. a cassé cette décision. Ne renoncez pas par méconnaissance ou par crainte de la complexité de la procédure.
Si vous êtes dans confronté à un litige de crédit immobilier, je vous invite à me contacter pour un premier échange. Ensemble, nous étudierons votre contrat et déterminerons les actions envisageables pour faire valoir vos demandes et obtenir réparation.
Maître Guillaume PIERRE, Avocat en droit bancaire

