Les litiges bancaires

Action in rem verso : conditions clés et mise en œuvre

L'action de in rem verso constitue un mécanisme juridique particulier permettant de corriger un déséquilibre patrimonial lorsqu'une personne s'appauvrit au profit d'une autre sans justification. Pour bien comprendre ce recours, il est essentiel d'examiner les conditions clés et la mise en œuvre de l'action in rem verso.

Dans ma pratique quotidienne du droit bancaire et civil, je constate régulièrement que cette action demeure méconnue ou mal comprise, alors qu'elle peut s'avérer décisive dans certaines situations.

Qu'est-ce que l'action in rem verso ?

Définition et origine jurisprudentielle

L'action in rem verso, également appelée action fondée sur l'enrichissement sans cause, trouve son origine dans la jurisprudence française.

L'expression latine "in rem verso" signifie littéralement "la chose s'est retournée vers". Elle traduit l'idée qu'un bien ou une valeur s'est déplacé d'un patrimoine vers un autre sans justification juridique.

Cette action s'inscrit dans la catégorie des quasi-contrats, ces situations où une personne se trouve obligée envers une autre sans qu'aucun contrat n'ait été conclu entre elles.

Le fondement de cette action repose sur un principe d'équité : nul ne doit s'enrichir injustement au détriment d'autrui.

Distinction avec la répétition de l'indu

Il convient de distinguer l'action de in rem verso de la répétition de l'indu, autre forme de quasi-contrat prévue aux articles 1302 et suivants du Code civil. La répétition de l'indu permet d'obtenir le remboursement d'une somme versée par erreur, lorsque le demandeur croyait à tort être débiteur.

La différence essentielle réside dans le fait que la répétition de l'indu suppose un paiement effectué à tort, tandis que l'action de in rem verso s'applique à des situations plus larges d'enrichissement injustifié, même en l'absence de paiement direct.

Les conditions cumulatives de l'action de in rem verso

Pour que l'action de in rem verso soit recevable, quatre conditions cumulatives doivent être réunies. L'absence d'une seule de ces conditions suffit à rendre l'action irrecevable.

L'appauvrissement d'une partie

La première condition exige que le demandeur, appelé "appauvri", démontre qu'il a subi une diminution de son patrimoine.

Cet appauvrissement peut prendre différentes formes :

  • une dépense effectuée,
  • une prestation fournie,
  • un manque à gagner, 
  • la perte d'un droit.

L'appauvrissement doit être réel et actuel. Il ne suffit pas d'invoquer un enrichissement potentiel ou futur.

La jurisprudence considère que cet appauvrissement doit être évalué de manière objective, en fonction de la situation patrimoniale du demandeur avant et après l'enrichissement de l'autre partie.

L'enrichissement corrélatif d'une autre partie

La deuxième condition impose de démontrer que l'autre partie, désignée comme "l'enrichi", a bénéficié d'un avantage patrimonial.

Cet enrichissement doit être corrélatif à l'appauvrissement du demandeur, c'est-à-dire qu'il doit exister un lien direct entre les deux.

L'enrichissement peut consister en :

  • une augmentation de l'actif du patrimoine (acquisition d'un bien, économie réalisée)
  • une diminution du passif (dette évitée).

Il appartient au demandeur d'apporter la preuve de cet enrichissement et de son lien avec son propre appauvrissement.

L'absence de cause à l'enrichissement

La troisième condition, essentielle, réside dans le caractère injustifié de l'enrichissement. 

Si l'enrichissement trouve sa source dans un contrat, un legs, une donation, ou tout autre acte juridique valable, l'action de in rem verso sera écartée.

De même, si l'appauvrissement résulte d'une obligation légale pesant sur le demandeur, l'enrichissement ne sera pas considéré comme injustifié.

La jurisprudence a précisé que l'absence de cause s'apprécie objectivement. Il n'est pas nécessaire de démontrer une faute de la part de l'enrichi.

L'action de in rem verso ne constitue pas une action en responsabilité mais vise uniquement à rétablir l'équilibre patrimonial.

Le caractère subsidiaire de l'action : l'absence d'une autre voie de droit

La quatrième condition, qui fait toute la spécificité de cette action, est son caractère subsidiaire. L'action de in rem verso ne peut être exercée que si le demandeur ne dispose d'aucune autre action fondée sur un texte, un contrat ou un quasi-contrat pour obtenir réparation.

Cette subsidiarité de l'action a été constamment rappelée par la Cour de cassation. Elle constitue le principe de subsidiarité, pierre angulaire du régime de l'action de in rem verso.

Concrètement, si une action contractuelle, une action en responsabilité délictuelle, ou toute autre voie de droit est ouverte au demandeur, celui-ci doit emprunter cette voie et ne peut agir sur le fondement de l'enrichissement sans cause.

L'obstacle de droit ou de fait

La subsidiarité de l'action connaît toutefois une limite importante : l'action de in rem verso peut être admise si le demandeur se heurte à un obstacle de droit ou de fait l'empêchant d'exercer une autre action.

Un obstacle de droit peut être la prescription d'une action contractuelle, l'absence de lien contractuel entre les parties, ou encore l'impossibilité juridique d'agir sur un autre fondement. La jurisprudence a admis, par exemple, qu'une action de in rem verso puisse être exercée lorsque l'action contractuelle est prescrite.

Un obstacle de fait peut résulter de circonstances matérielles rendant impossible l'exercice d'une autre action.

La mise en œuvre de l'action de in rem verso

La prescription de l'action

La question de la prescription de l'action de in rem verso a longtemps été débattue. Depuis la réforme du droit des obligations, le délai de prescription applicable est celui du droit commun, fixé à cinq ans par l'article 2224 du Code civil.

Le point de départ de ce délai est le jour où le titulaire de l'action a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'agir. En pratique, il s'agit généralement du moment où l'appauvrissement et l'enrichissement corrélatif sont devenus manifestes.

L'indemnité due

L'indemnisation accordée au titre de l'action de in rem verso obéit à une règle particulière. Le montant dû correspond au plus faible des deux montants suivants : l'appauvrissement subi ou l'enrichissement obtenu.

Cette règle s'explique par la nature de l'action, qui vise à rétablir l'équilibre sans pour autant enrichir à son tour le demandeur.

Conclusion

L'action de in rem verso demeure un outil juridique précieux, bien que son utilisation soit strictement encadrée par la jurisprudence. Son caractère subsidiaire en fait une voie de recours exceptionnelle, utilisable uniquement lorsqu'aucune autre action n'est possible.

L'action fondée sur l'enrichissement injustifié illustre la volonté de notre droit civil de sanctionner les déséquilibres patrimoniaux injustifiés, tout en préservant la sécurité juridique et le respect des obligations contractuelles et légales. 

Pour toute question relative à une situation d'enrichissement sans cause ou pour évaluer l'opportunité d'engager une telle action, contactez moi pour étudier votre dossier et vous conseiller sur la stratégie juridique la plus appropriée.

Maître Guillaume PIERRE
Avocat en droit bancaire

Avocat Pierre

Je suis Maître Pierre, avocat en droit bancaire inscrit au barreau de Paris depuis 2003. Vous rencontrez une problématique et avez besoin d'aide ? Discutons-en.


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